viernes, 6 de marzo de 2009

Limite ou non limite?

L'approche bouddhiste propose la fréquentation du temps éternel. Rencontre avec un maître zen qui connaît la psychothérapie et qui parle de transfert et de limite dans ce lieu délicat où cette dernière vient fréquenter l'illimité.

Réel : Pourquoi parlez-vous de tension entre nature conditionnelle et nature inconditionnelle ?

DOKUSHÔ SENSEI : Cette tension est historique et pas seulement chez les bouddhistes. Comment vivre l'illimité dans les limites et comment clarifier les limites à la lumière de l'illimité que nous sommes ? Nous, les êtres humains, nous nous trouvons dans un croisement dû à notre nature qui est au-delà du temps, au-delà de l'espace, au-delà des circonstances et des conditionnements personnels et historiques. En même temps, nous sommes des êtres qui naissons dans l'histoire, dans un espace, dans une culture et dans une famille. Nous sommes donc soumis à des conditionnements qui, parfois, nous empêchent d'entrer en contact avec ce qu'il y a de plus inconditionnel en chacun de nous, ce que l'on appelle dans le bouddhisme notre "nature du bouddha".

Réel : Dans l'approche bouddhiste, cette perte de l'origine est réputée "non coupable", non issue du péché.

D.S. : Elle est non coupable. En fait, la culpabilité est le symptôme de la perte de l'innocence originelle. Dès que l'on a une expérience de "recontact" avec l'origine, la culpabilité disparaît automatiquement et l'innocence et la pureté originelle apparaissent. Nous croyons avoir perdu l'origine, c'est une illusion cognitive qui prend forme dans une structure émotionnelle psychologique et corporelle qui devient très concrète, mais ce n'est en fait qu'une illusion. Cela ne veut pas dire qu'elle n'existe pas ; la perte existe, mais ce n'est qu'une illusion. L'on n'abandonne pas l'origine, l'on n'est jamais coupé de la voie quoi que l'on fasse, où que l'on soit, mais on crée l'illusion de se voir écarté et l'on perd la mémoire du "soi" originel.

Réel : La révolution industrielle nous a-t-elle névrosés ? Nous a-t-elle éloignés de nous ?

D.S. : La révolution industrielle a sans doute coupé la société de la nature en créant de grandes villes, de grands centres de production et cela était déjà une coupure du rythme naturel, du rythme du jour et de la nuit et des saisons. Elle a également déchiré le tissu familial. Traditionnellement, les gens travaillaient là où ils habitaient avec leur famille, mais la révolution industrielle a fait que les pères sont partis travailler très loin, en dehors du contexte familial. Souvent, les mères sont parties également pour chercher du travail et les enfants sont restés sans contact avec les parents. Petit à petit, cela s'est développé de plus en plus et aujourd'hui on peut dire que la société technologique dans laquelle nous vivons est vraiment une grande usine, à échelle industrielle, de névrosés et de malades mentaux.

Réel : Le bouddhisme est très ancien. Comment peut-il évoluer par rapport au monde d'aujourd'hui ?

D.S. : Le bouddhisme a environ 2500 ans. Son instruction formelle est peut-être dépassée, mais le véritable chemin reste toujours valable. Nous, les maîtres, qui sommes responsables de la tradition bouddhiste, sommes entrain de chercher à amener une vérité intemporelle dans notre temps au contexte historique si particulier.

Réel : Peut-on dire, aujourd'hui, que l'approche psychothérapeutique fait partie du chemin bouddhiste ?

D.S. : Cela dépend de la psychothérapie pratiquée. Si elle est un moyen de guérir la souffrance émotionnelle et psychologique, elle fait complètement partie du bouddhisme. La psychologie occidentale et la psychothérapie sont des applications spécifiques de la vérité enseignée par le bouddhisme, avec des méthodologies spécifiques et adaptées aux structures émotionnelles et mentales des êtres humains que nous sommes. Il faut une psychothérapie "à toit ouvert", qui donne la possibilité au patient de se connecter avec sa nature spirituelle et avec son besoin de transcendance. Dans la liste des besoins faite par Abraham Maslow, un des pères de la psychologie humaniste, il y avait le besoin de transcendance de soi. Une fois que la réalisation de soi en tant qu'être humain est faite, il y a un besoin beaucoup plus profond, qui est de se transcender soi-même, c'est-à-dire d'entrer en contact avec sa nature inconditionnelle.

Réel : Que pensez-vous de la notion de transfert ?

D.S. : Chaque maître bouddhiste est différent. Il y a aussi une différence entre les maîtres orientaux et occidentaux qui ont des sensibilités différentes. Dans mon cas, je me suis intéressé à la psychothérapie depuis de nombreuses années et j'ai même suivi un processus personnel. Il y a des concepts, comme celui de transfert et de contre-transfert, que j'ai incorporé dans ma façon de faire et dont je tiens compte. Si l'on ne sait pas gérer cela, il y a beaucoup de problèmes qui apparaissent dans la relation entre le maître et le disciple.

Réel : Le Dharma, la démarche bouddhiste, cela construit ou cela déconstruit ?

D.S. : Il y a plusieurs aspects. Il y a une construction d'une structure de vertus, d'une structure plus saine, plus large, plus souple, plus apte pour le bonheur. Le drame de la névrose, c'est l'excessive rigidité qui empêche la pulsion fondamentale de la vie de s'adapter aux circonstances toujours changeantes de la réalité. Une structure plus saine permet de vivre beaucoup mieux en tant qu'être humain. Dans le Dharma, nous trouvons d'abord une phase de déconstruction de ces structures névrosées, pour ensuite construire une représentation du "moi" beaucoup plus réelle. Le problème réside dans le représentation mentale que l'on se fait de soi-même. Le Dharma a donc les deux aspects, de déconstruction et de construction. On ne peut pas construire quelque chose de bien sur un vieux inmeuble. Il faut d'abord enlever ce qu'il y a en trop pour pouvoir rebâtir une structure beaucoup plus saine.

Réel : Il y a des êtres fragiles qui ne peuvent pas supporter une déconstruction.

D.S. : C'est pour cela qu'il n'est pas conseillé - de mon point de vue - que des personnes qui sont dans des états "limites" ou qui sont psychotiques aient une pratique très poussée du bouddhisme, de la méditation, des sadhanas ou des retraites. Il est préférable de travailler d'abord avec des techniques de reconstruction de la personnalité. C'est seulement dans la mesure où la personnalité est bien établie que l'on peut passer à l'étape de transcendance de la structure psychologique. On peut prendre l'exemple d'un avion qui doit être très bien assemblé et où chaque pièce doit être exactement à sa place. Alors l'avion pourra monter très haut et supporter de grosses pressions sans exploser. Si une pièce de l'avion n'est pas bien emboîtée, il souffre à la première pression et tout se déchire.

Réel : Par le passé, vous avez été anarchiste. Vous avez goûté au haschisch et au LSD. Le Zen
vous a-t-il donné un cadre ou vous a-t-il apporté plus qu'un cadre ?

D.S. : Il m'a apporté beaucoup plus qu'un cadre. Le Zen est déconstructeur des mauvaises illusions. Il m'a remis en contact avec mon "moi" profond et il s'est passé un changement très profond chez moi. Je n'ai pas complètement renié mes idées et ma sensibilité passée. Je travaille toujours pour une société beaucoup plus humaine. Je pense que le sage s'approprie les substances traditionnelles qu'ont utilisées les cultures anciennes et que cela peut servir pour le développement de la conscience humaine. Maintenant, tout cela je le vis d'une façon beaucoup plus harmonieuse et heureuse.

Réel : L'ego peut-il prendre au piège le Dharma ?

D.S. : Tout à fait. L'ego peut se servir du Dharma pour affermir ses propres défenses. L'ego est un ensemble de mécanismes de défenses. Le Dharma peut aussi se servir de l'ego et cela c'est beaucoup mieux. L'ego devient le véhicule d'une vérité beaucoup plus profonde. Le danger, c'est lorsque l'ego devient un super-ego. C'est alors très dangereux pour une communauté religieuse, bouddhiste ou non. En Europe, c'est un piège dont les maîtres doivent tenir compte.

Réel : Comment peut-on être maître zen et en même temps un homme de cœur ?

D.S. : Ce n'est pas du tout incompatible. On a parfois une image artificielle de ce qu'est le Zen. Au Japon, le Zen a une certaine rigidité. Je fais partie de la première génération d'européens qui a reçu la transmission du Dharma d'un Maître japonais. Mais je suis du Sud de l'Espagne et donc quelqu'un qui a le sang chaud, très habitué à vivre à partir du cœur. Alors, il se fait un mélange entre l'efficacité et la sobriété, entre la profondeur du Zen et le cœur chaleureux. Cela est tout à fait possible. J'espère que dans l'avenir, en Europe, le Zen aura beaucoup de cœur et de chaleur.

Propos recueillis par Georges Didier

Dokushô Villalba Sensei est maître zen et fondateur de la Communauté Bouddhiste Soto Zen en Espagne. Ecrivain, il a notamment publié en français Enseignement d'un Maître Zen (Editions du Rocher, 2006).

Entrevista publicada en Réel. Le journal qui prend la parole. 24 pages tous les mois pour tout connaître de l'actualité en psychothérapie (annuaire national des psychothérapeutes) mais aussi des liens avec l'écologie, le politique, la psychanalyse. http://www.journalreel.info/

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